Le deuxième numéro de la revue IntranQu’îllités vient de paraître, juste un an après le premier. Un intervalle d’une année, cela n’est pas trop pour « entrer en vibration avec tous les vents du monde », capter « les mots qui se mêlent et s’entrelanguent », et « produire des rêves, fixer des vertiges », comme l’écrit en « entrée en matière » James Noël, maître d’œuvre et maître d’ouvrage, avec Pascale Monnin, responsable de la conception visuelle. Ernesto Guevara apparaît sous la bannière du « Che comme métaphore ». Que reste-t-il du culte de cette figure qui a impulsé tant d’élans et tant fait rêver deux, voire trois générations, icône du combat pour la liberté et du refus du renoncement ou symbole de nos illusions et de nos espoirs perdus ? Les textes oscillent entre ceux qui malgré tout et ceux qui surtout plus…[http://blogs.mediapart.fr/edition/revues-cie/article/030613/archipel-du-sensible] Voilà donc un texte “Malgré tout…” écrit à la mémoire de ce Che dont j’avais accroché l’image sur le mur de ma petite chambre à Santiago:
“Cela fait quarante ans que les soldats ont fait irruption dans notre maison et ont arraché ton affiche du mur de ma chambre. Quarante ans, qu’enragés de découvrir ta photo avec Fidel parmi nos clichés de famille, ils ont saisi livres, images et documents par brassées pour les brûler dans la rue. Quarante ans qu’ils nous ont jetés dans ce camion pour nous embarquer Frantz, Michel, Vasco, Soledad et moi vers l’Estadio Nacional. Depuis le coup d’État du 11 septembre, les stades de Santiago servaient de camps d’interrogation, de concentration, de torture et de mort. Orchestrées par la junte militaire, les arrestations se multipliaient dans la nuit, et tout sympathisant d’une cause révolutionnaire était suspect. Il y avait six ans que tu avais été exécuté dans cette ravine perdue de Bolivie, mais tu leur faisais toujours peur. Tu avais regardé ton tueur en face “Vise bien !” avais-tu dit. “Tu vas tuer un homme !” Et peut-être dans l’espoir de l’ultime combat, tu avais gardé les yeux ouverts même après ta mise à mort. Alors, dans le vestiaire du stade transformé en prison, où les cris et le bruit des bottes étaient à peine assourdis par l’eau des douches qu’on laissait continuellement couler, où nous nous étions collées les unes aux autres pour nous réchauffer, je me suis efforcée de maîtriser ma peur et de garder les yeux ouverts. Ton héritage, c’est cela: de ne baisser ni les bras, ni les yeux devant la réalité; de regarder le monde en face. À la lumière de ton courage et à travers les années qui nous séparent, j’écris ce poème à ta mémoire. La lumière de ses yeux
Dans l’altiplano
Pas l’ombre d’un oiseau
Ni l’odeur d’une feuille
Seulement des broussailles desséchées par le soleil
Sur le calendrier d’Octobre,
Les feuilles arrachées des jours
S’arrêtent au chiffre 9
Ce jour d’Octobre dans la pénombre
Un homme à moitié nu est étendu
Son sang s’est arrêté de couler
Mais la colère circule encore dans ses veines
Livré à la mort
Ses yeux brûlent de lumière
Oeil gauche Espoir, Oeil droit Combat
Quelqu’un de son puissant geste
A ordonné son silence soudain
Mais dans l’éclatement des balles
Ce silence a fait trésaillir le monde
Et dans la transparence du jour
Son corps délivré à jamais de toute gravité
Métamorphosé en poussière de flammes,
De ciel, d’arbres explosés, de vert, de jungle
Le vent et les nuages l’ont dispersé
Aux quatre coins de l’univers
Dans l’altiplano
pas l’ombre d’un oiseau
ni l’odeur d’une feuille
Seulement des broussailles desséchées par le soleil
Il voulait apprivoiser la terre bolivienne
Renaître sentinelle
Extraire de la violence une vie libérée
Un amour jamais nié
Mais aventurier au souffle suffoquant
Arpenteur sans ancrage ni mémoire
Son histoire est tourmente de sang
Et le monde vorace, confus et révoltant
N’offre que trahison, abîme, embuscade
Ocre et Sang. Terre, Eau et Feu
Dans le jour malade
La peine est indefinissable
Et les amis sans alibi
Mais malgré les promesses trahies
Et ceux qui meurent les mains nues
Il reste la lumière de ses yeux
Oeil gauche Espoir, Oeil droit Combat
Dans l’altiplano
pas l’ombre d’un oiseau
ni l’odeur d’une feuille
Seulement des broussailles desséchées par le soleil
[Michèle Voltaire Marcelin – La lumière de ses yeux]
This entry was posted on Thursday, June 20th, 2013 at 9:02 pm. It is filed under poetry and tagged with Le Che comme métaphore, michèle voltaire marcelin, Poème Che Guevara, Poésie pour le Che, Revue Intranqu'Îllité. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed.
This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.
WordPress Themes by Graph Paper Press
Subscribe to entries
Subscribe to comments
All content © 2024 by la dous ki vyen
Leave a Comment