Sur les branches immobiles
Les arbres font des rayons
Et des ombres subtiles
Silence dans la maison
Silence sur la colline
Ces parfums qu’on devine
C’est l’odeur de saison
Mais voilà l’hommme
Sous son chapeau de paille
Des taches plein sa blouse
Et sa barbe en bataille
Cézanne peint
Il laisse s’accomplir la magie de ses mains
Cézanne peint
Et il éclaire le monde
pour nos yeux qui ne voient rien
Si le bonheur existe
C’est une épreuve d’artiste
Cézanne le sait bien …
Il y met sa vie
Le bruit de son coeur
Et croise avec ses yeux
Le temps d’un éclat
Le regard des dieux …
Cézanne peint
Il laisse s’accomplir le prodige de ses mains…
“Cézanne peint” Michel Berger
Des mots indissociables:
Aix-en-Provence et Cézanne.
Il y aurait des trésors à emporter dans ce pays qui n’a pas encore trouvé un interprète à la hauteur des richesses qu’il déploie.
Lettre à Chocquet, 11 mai 1886
Paul Cézanne a eu un rapport viscéral, passionné, avec le pays de son enfance. Après des tentatives d’installation à Paris, il est revenu à Aix. Nulle part ailleurs, il ne retrouvait l’intensité de la lumière, l’éclat des couleurs et la dureté des contrastes de sa terre natale. “Me revoilà tombé dans le midi dont je n’aurais jamais dû m’éloigner pour me lancer à la poursuite chimérique de l’art”, écrira-t-il à Monet en 1895. De la rencontre fusionnelle qui a eu lieu entre ce créateur épris de vérité et cette terre de sensations intenses, est née une œuvre puissante. Celui dont Picasso disait “C’est notre maître à tous”, ce précurseur du cubisme, du fauvisme, de l’abstraction, n’a pu atteindre cette universalité qu’en s’enracinant en son pays.
Le Jas de Bouffan
Le Jas de Bouffan est le site cézannien par excellence. C’est dans cette demeure familiale, une bastide provençale du 18ème siècle, que l’artiste a vécu et travaillé pendant quarante ans en y peignant sa famille, ses amis, son allée de maronniers, la Sainte-Victoire vue du parc, les natures mortes, baigneurs et joueurs de cartes aujourd’hui dispersés dans plusieurs musées du monde.
L’Atelier des Lauves
“J’aperçois au loin l’atelier de mon vieux maître. Il est là, dans la campagne, présentant au soleil sa façade calme, ses volets clos, son toit plat à deux frontons!…Cézanne est là-bas; il m’appelle!…Je me remets en marche. J’ai trouvé le chemin cherché.”
E.Bernard – Souvenirs sur Paul Cézanne – 1920
L’atelier est juché sur la colline des Lauves. Les frondaisons du jardin laissent apercevoir Aix et au-dessus de l’atelier, on voit émerger la montagne Sainte-Victoire. Cézanne le fit construire sur deux niveaux. Au premier étage, une vaste pièce offre une vue incroyable sur Aix-en-Provence et sur la campagne environnante.
Ce Musée-Atelier accueille les visiteurs désireux de se rapprocher de l’homme qu’était Cézanne. Un endroit où la simplicité humaine et quotidienne du peintre apparaît encore. L’Atelier Paul Cézanne n’abrite aucune œuvre de l’artiste. C’est Cézanne lui même que le visiteur vient chercher en ces lieux.
“On pénètre dans l’atelier comme on entre à la dérobée chez quelqu’un, sur la pointe des pieds, ne voulant rien déranger, rien brusquer. La présence du peintre y est encore si fortement perceptible. Vient-il tout juste de quitter les lieux ou cela fait-il vraiment un siècle que le peintre n’y est plus venu? L’odeur des pommes en lente décomposition (son fruit fétiche, lui qui prenait tant de temps à peindre) et les objets de son quotidien sont là, nous envoûtant dans l’univers quasi-sacré du peintre. Au regard de ses blouses, son chapeau, ses outils, les objets modèles de ses natures mortes ou encore son grand chevalet, certains visiteurs, gorgés d’émotions, en viennent même aux larmes.” Magdeline Boutros
Tous les admirateurs de Paul Cézanne vous le diront, c’est ici que l’on ressent avec le plus d’intensité la présence du peintre. Il a réalisé là son abri, son lieu de recueillement et de travail, d’où par beau temps, il partait peindre le paysage sur “le motif”. Les jours de pluie ou de grand froid, Cézanne restait là au milieu de ces objets familiers qui sont devenus les modèles de ses natures mortes : quelques faïences, des bouteilles, des vases, des fleurs en papier ou des étoffes, des fruits, des pommes surtout, ainsi que des crânes et le petit “amour” en plâtre. Des dizaines d’oeuvres, aujourd’hui conservées dans les grands musées du monde, dont ses dernières “Grandes Baigneuses”, ont été peintes dans cet atelier de lumière et de silence.
Après avoir vu l’atelier, un visiteur, Adrien Chappuis raconte ceci: ” Tout évoquait si fortement la présence du peintre que j’en fus troublé. Ma compréhension habituelle de l’artiste me parut tout à coup déplacée, l’image de Cézanne que sa peinture et les livres m’avaient fait concevoir – tout s’effaça devant le choc de la présence de l’homme très simple et un peu irritable qui avait travaillé, vécu, souffert ici. ”
La montagne Sainte-Victoire
Porteuse des espoirs les plus fous, prête à recevoir les honneurs et les audaces d’un peintre fasciné par elle, la montagne Sainte Victoire représente comme le souligne Gilles Plazy « le lieu de l’ascension, elle est la nature imposante qui ne se donne qu’à ceux qui la conquièrent, elle est cette éminence qui domine une ville et une campagne mais dont le sommet paraît lointain… ». Ce sommet, Cézanne va l’atteindre dans la dernière partie de son œuvre. Avec ces Sainte-Victoire, il va transformer le regard du monde sur ce lieu. De “nature“, la montagne deviendra “objet d’art” et appartiendra au “patrimoine de l’humanité“.
“Regardez cette Sainte-Victoire. Quel élan, quelle soif impérieuse du soleil, et quelle mélancolie, le soir, quand toute cette pesanteur retombe…” disait-il. Envoûté par sa minéralité, son jeu d’ombres et de lumière, Cézanne en fera un point central de son oeuvre, tentant de la cerner et de la comprendre par le mouvement de son pinceau. La montagne Sainte-Victoire
Pour un face à face entre Sainte-Victoire et sa palette, il fait des allers-retours de loup-garou infatigable entre son atelier et cette montagne qui restera son sujet de prédilection. Il lui consacrera une série entière.
“Les noirs, les bruns, les verts et les violets dessinent leurs arabesques joyeuses sur un plan vertical destiné à lever le rideau sur une autre scène. Soudain, comme par magie, Cézanne fait surgir dans un décrochement de bleu fantastique, la montagne Sainte Victoire, une tache de lumière chaude enfouie au centre du tableau qui indique clairement la présence indissoluble du soleil”. Pour Gilles Plazy, tout est dit dans cette œuvre magistrale. Cézanne a tenu sa promesse de dire un jour toute la vérité. Les fiançailles avec la nature sont consommées.
L’Estaque
Cézanne raconte l’Estaque à Camille Pissaro. “Des toits rouges sur la mer bleue …le soleil est si effrayant qu’il me semble que les objets s’enlèvent en silhouette non pas seulement en blanc ou noir, mais en bleu, et rouge, en brun, en violet.” La toile capture la lumière de la Provence mais aussi la chaleur qui se dégage de la pierre ocre, les odeurs des pins et les formes qui nous apparaissent comme des mirages suite à la contemplation des paysages quand la tête chauffe. L’Estaque, au bord de la mer, sera un lieu de silence et de tranquillité loin du père banquier qui, tout en lui accordant de quoi vivre comme peintre, exerçait une autorité tyrannique sur son fils.
Paul Cézanne et les pommes.
Divisé, instable, en conflit avec lui-même, Cezanne peint de préférence des objets privés de vie qui n’ajouteront pas à son agitation intérieure. La nature morte était son domaine par excellence. Pour lui, elle se prête à la mise en ordre réfléchie. Alors que le visage d’un modèle change d’expression et qu’un paysage se modifie quand le soleil tourne, les objet gardent la place et l’attitude qu’on leur attribue dans la lumière de l’atelier. Les fruits sont périssables, c’est ce qui explique sa préférence pour les pommes qui se gardent plus longtemps. (Il a peint une centaine de toiles de pommes). Gustave Geffroy, critique qui admirait Cézanne rapporte : “Ce que j’aimais surtout en lui, c’étaient ses enthousiasmes : Avec une pomme, proclamait-il, je veux étonner Paris.”
Le Grand Baigneur
Je suis né 50 ans trop tôt. Cézanne
Il voulait faire de la peinture durable et solide pour entrer dans les musées. Ses toiles sont aujourdhui disséminées dans tous les musées des grandes villes. Le Grand Baigneur est au MOMA (le musée d’Art Moderne de New York).
Hortense Fiquet
Craignant que son père ne désapprouve cette relation et ne remette en cause sa pension, il dissimule pendant 17 ans, avec un soin maniaque, la liaison qu’il entretient avec Hortense Fiquet et la naissance de son fils. En décachetant le courrier du peintre, son père découvrira les preuves de sa paternité et réduira sa pension, plongeant Cézanne dans une situation financière difficile. La mort du père lui apportera l’héritage qui le mettra à l’abri du besoin jusqu’à la fin de ses jours.
Une amitié gachée –
Emile Zola
Zola et Cézanne ont grandi ensemble et ont été très liés. Zola le soutiendra dans ses efforts, intellectuellement, moralement et même financièrement jusqu’à ce que l’écrivain dans son premier roman s’inspire de son ami pour le personnage d’un peintre raté, incapable de se réaliser et qui se suicide. Cézanne ne lui pardonnera jamais.
Evocation d’une vie en peinture:
Désespérant d’atteindre ce qu’il poursuit, celui qui écrivait avec orgueil : “Je vous dois la vérité en peinture” est taraudé de doutes et s’interroge encore “Arriverai-je au but tant recherché?“ Il demeure incompris, et ceux qui le connaissent voient en lui un raté, mais il travaille sans relâche et rien ne le détourne de son oeuvre.
La peinture fut pour lui avant tout, un travail d’ouvrier, un travail solitaire, presque pénible, pratiqué sans interruption. Il peignait lentement, avec d’infinies hésitations, appliquant prudemment ses touches les unes à côté des autres, réfléchissant, comparant, reprenant les verts, les bleus et les ocres cézanniens qui se répondaient dans un jeu de lumière.
“Il faut avoir vu, entassées dans les combles du Jas de Bouffan, pêle-mêle, les centaines de toiles, pour la plupart inachevées, souillées, martelées, de cette époque, pour comprendre le travail sourd, pénible, le martyr heureux avec lequel Cézanne s’est emparé de son âme et de cette terre, les a, pour ainsi dire, emboîtées, imbriquées l’une dans l’autre, dans le même regard, dans le même métier.”
Joachim Gasquet, Conversations avec Cézanne, Ed. Macula, 1978.
Infatigable travailleur obsédé par l’unité de son tableau, il demandait à la peinture d’être une méditation, le pinceau à la main et disait vouloir mourir en peignant. Le 15 octobre 1906, alors que Paul Cézanne peint sur le motif la montagne Sainte-Victoire, un orage foudroyant éclate. Il continue malgré tout à peindre “sa” montagne pendant plusieurs heures sous une pluie battante. Courait-il après son destin ou était-il , tout bonnement hypnotisé par la minéralité et les reflets de Sainte-Victoire, véritable obsession dans les dernières années de sa vie? On le ramènera mourant chez lui. Il s’éteindra des suites d’une pleurésie, une semaine plus tard.
Voilà mon image préférée de Cézanne: ce geste d’hospitalité capturé par une photographie à la fin de sa vie. En dépit de son mépris total des bonnes manières, ce sauvage, ce solitaire, ce taciturne offre une chaise à une visiteuse. Un éclair de générosité.
Les joueurs de cartes
“Lorsque la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude”. Cézanne
“Je ne crois pas” , disait Renoir, “que dans toute l’histoire des peintres on trouve un cas semblable à celui de Cézanne. Avoir vécu soixante-dix ans et, depuis le premier jour où l’on a tenu un pinceau, demeurer aussi isolé que sur une ile déserte. Et aussi à coté de cet amour passioné de l’art, une telle indifférence pour son oeuvre une fois faite.”
Traditionnellement rattaché au courant impressionniste, Cézanne se distingue cependant de ce groupe par l’importance qu’il accorde à la couleur et par la géométrie rigoureuse qui ordonne ses toiles. Il sera parmi les premiers à faire apparaître les formes par la couleur, rendant les contours obsolètes. Il brise plusieurs des conventions de l’Académie et peint directement “sur le motif”, c’est-à-dire à l’extérieur. Une véritable révolution pour l’époque. En une soixantaine d’années, le classicisme laissera sa place à la peinture moderne. C’est Cézanne qui en jette les bases, pavant la voie au fauvisme et au cubisme, en trouvant un passage vers “autre chose”. Picasso n’a-t-il pas dit: «Cézanne, c’est notre maître à tous»?
Alors?
Sur mon chemin j’ai rencontré…ce peintre dont le besoin de peindre était aussi urgent et nécessaire qu’un besoin physique; celui qui le jour des funérailles de sa mère, pourtant tendrement aimée, se trouvait non à l’église ou au cimetiere mais dans le paysage, peignant sur le motif. Le Cézanne que j’ai trouvé est celui qui s’est battu obstinément et sans repos avec cette chose étrange appellée l’Art, pour avouer timidement à la fin de sa vie :“Je fais de lents progrès”.
Michèle Voltaire Marcelin
Sources:
Emile Bernard
Karine Villalonga
Magdaline Boutros
Michel Ban
Pierre Francastel
Gilles Plazy
Jean-Daniel Baltassat
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