“Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir.”
” Je suis de la race de ceux qu’on opprime.
Mon nom : offensé,
mon prénom : humilié,
mon état : révolté,
mon âge : l’âge de pierre.”
Et les chiens se taisaient
Aimé Césaire
Aimé Césaire est mort !… Vive Aimé Césaire!
Homme libre au royaume de la poésie, et de l’amour pour la vie…le père de la négritude, le poète, dramaturge et homme politique Aimé Césaire est mort en Martinique, ce jeudi 17 avril. Il avait 94 ans.
“Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre. Nous savons que le salut du monde dépend de nous aussi. Que la terre a besoin de n’importe lesquels d’entre ses fils. Les plus humbles. L’ombre gagne… Ah ! tout l’espoir n’est pas de trop pour regarder le siècle en face !”
Regarder le siècle en face… tel fut son programme. “Le miracle d’une parole entendue par tous : quelle joie!” Cette parole, il la porta haut et fort sur de multiples routes, politiques ou poétiques, la définissant comme «un cri nègre» voué à ébranler «les assises du monde».
Tout commence par le refus de l’assimilation. Au début des années 1930, le jeune Césaire refuse de jouer le jeu du milieu petit-bourgeois martiniquais, dont l’art poétique se résume à quelques alexandrins surannés. C’est donc sans regret qu’il part étudier à Paris, ville synonyme, pour lui, de liberté. A Louis-le-Grand, il rencontre Léopold Sédar Senghor, découvre les poètes noirs américains, les premiers à affirmer leur identité à travers la “Négro-renaissance”. Au sein de la revue L’Etudiant noir, créée en 1934, Césaire, Senghor et le poète guyanais Damas popularisent le concept de “négritude”. “Rendons à Césaire ce qui appartient à Césaire”, aimait à dire Senghor, quand on lui prêtait à tort la paternité du mot : c’est sous la plume du poète martiniquais que le terme “négritude” apparaît pour la première fois, quand il déposera sur un cahier d’écolier les mots de la révolte, de la colère, et de la quête identitaire, donnant ainsi naissance à son œuvre poétique majeure : Le cahier d’un retour au pays natal. Le poème est publié en 1939 à un tirage confidentiel, avant d’être redécouvert et célébré par André Breton lors d’un voyage aux Antilles en 1941.
“Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : “Embrassez-moi sans crainte… Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai.” Et je lui dirais encore : “Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir.” Et venant je me dirais à moi-même : “Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse…”
– Aimé CÉSAIRE, Cahier d’un retour au pays natal
“Au bout du petit matin, une autre petite maison qui sent très mauvais dans une rue très étroite, une maison minuscule qui abrite en ses entrailles de bois pourri des dizaines de rats et la turbulence de mes six frères et soeurs, une petite maison cruelle dont l’intransigeance affole nos fins de mois et mon père fantasque grignoté d’une seule misère, je n’ai jamais su laquelle, qu’une imprévisible sorcellerie assoupit en mélancolique tendresse ou exalte en hautes flammes de colère; et ma mère dont les jambes pour notre faim inlassable pédalent, pédalent de jour, de nuit, je suis même réveillé la nuit par ces jambes inlassables qui pédalent la nuit et la morsure âpre dans la chair molle de la nuit d’une Singer que ma mère pédale, pédale pour notre faim et de jour et de nuit.
Au bout du petit matin, au-delà de mon père, de ma mère, la case gerçant d’ampoules, comme un pêcher tourmenté de la cloque, et le toit aminci, rapiécé de morceaux de bidon de pétrole, et ça fait des marais de rouillure dans la pâte grise sordide empuantie de la paille, et quand le vent siffle, ces disparates font bizarre le bruit, comme un crépitement de friture d’abord, puis comme un tison que l’on plonge dans l’eau avec la fumée des brindilles qui s’envole… Et le lit de planches d’où s’est levée ma race, tout entière ma race de ce lit de planches, avec ses pattes de caisses de Kérosine, comme s’il avait l’éléphantiasis le lit, et sa peau de cabri, et ses feuilles de banane séchées, et ses haillons, une nostalgie de matelas le lit de ma grand-mère.”
Brasseur de souffrance, Aimé Césaire explore tous les hauts lieux de la douleur des peuples colonisés où la mort et l’injustice ont frappé. Ce sont les Antilles grêlées de petites véroles, dynamitées d’alcool et échouées dans la boue. C’est évidemment l’Afrique qui saigne de toute l’étendue du continent. C’est la géographie tuméfiée des Etats Unis d’Amérique où les nègres n’en finissent pas d’être lynchés. Ce sont toutes ces terres rouges, sanguines, consanguines où se poursuit cyniquement l’œuvre de démolition du colonialisme. Il opère la descente aux enfers qui de Gorée jusqu’aux habitations d’Amérique a vu la déportation de millions d’hommes dans les cales des navires négriers.
“Et l’on nous marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et on nous vendait sur les places et l’aune de draps anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient moins chers que nous”
Cahier d’un retour au pays natal – p. 99
“Le ciel est plus lourd, ses épaules ne sont plus là.”
Gilles Alexandre
Libraire Martiniquais
Aimé Césaire a donné à la littérature française un souffle, un accent qui n’avaient pas été entendus avant lui.
“J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable…”
Un grand Ayibobo
pour Aimé Césaire!
1913 – 2008
” Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l’audience comme la pénétrance d’une guêpe apocalyptique. Et la voix prononce que l’Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences, car il n’est point vrai que l’oeuvre de l’homme est finie, que nous n’avons rien à faire au monde, que nous parasitons le monde, qu’il suffit que nous nous mettions au pas du monde, mais l’oeuvre de l’homme vient seulement de commencer, et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur, et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’à fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite. “
“Le mouvement de la Négritude affirme la solidarité des Noirs de la diaspora avec le monde africain. On n’est pas impunément Noir, et que l’on soit français, de culture française-ou que l’on soit de culture américaine, il y a la un fait essentiel : à savoir que l’on est Noir et que cela compte . Voilà la Négritude”.
Reconnaîtrez-vous sur cette photo Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor ? ou Jacques S. Alexis, Cheick Anta Diop, Jean Price-Mars et sa femme (la seule admise dans la génération macho) ? C’était en 1956, plus précisément au 19 septembre. Césaire avait 43 ans, René Depestre 30 et Edouard Glissant 28 à l’occasion de ce 1er Congres International des Ecrivains et Artistes Noirs à Paris dont l’affiche est signée Picasso.
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