Courbet fut un artiste révolutionnaire qui se moqua des conventions et s’opposa toujours à l’académisme. Sa grandeur est sans doute d’avoir porté en lui une vision réaliste et poétique du monde.
“Etre à même de traduire les moeurs, les idées, l’aspect de mon époque selon mon appréciation, être non seulement un peintre, mais encore un homme. En un mot, faire de l’art vivant, voilà mon but “.
Se révèle ainsi la soumission d’un homme à la nécessité impérieuse de l’artiste : représenter la réalité dans ce qu’elle a de plus propre, sa complexité infinie, son ambiguïté constitutive, qui tantôt se déchaîne, tantôt s’apaise, alanguie au creux d’un drap. Plus question, donc, de détourner les yeux quand Courbet nous prend à partie, nous exhorte à nous confronter au fondement de ce qui nous fait être, à ce moment intense et lumineux de révélation au monde. Son style réaliste et ancré dans la matérialité, son goût de ne peindre que pour créer une oeuvre plastique et puissante, lui valurent de violentes critiques et il fut surnommé avec malveillance ‘le chef de file de l’école du laid’. Ses nus furent également jugés indécents par une époque qui aimait que la nudité soit idéalisée et non pas montrée sous un angle sensuel et charnel : on retient bien sûr le tableau ‘L’ Origine du monde’…
‘L’Origine du monde’ n’a rien perdu de son pouvoir sidérant et malaisant. Impossible d’y échapper, le tableau, sexe en cadrage serré, sans fioriture ni aucune des allégories généralement dévolues à ce genre, est un fragment choc et une image de pure provocation, une forme de vérité à laquelle on n’échappe pas quand on lui fait face. Auscultation, scrutation, fétichisme, examen anatomique, le spectateur ne sait trop où se situer, et c’est ce trouble qui se précipite vers lui à toute vitesse, d’autant que la position du corps de la femme anonyme, jambes écartées selon un angle à 90 degrés, donne une forte impression de perspective tandis que la chair contraste crûment avec la crinière noire qui surmonte la fente du sexe, elle-même comme une fêlure dans le tableau: un coup de ciseau sombre dans notre regard.
(Antoine de Baecque)
Voilà l’histoire de la création, de la disparition puis de la réapparition de l’un des tableaux les plus mystérieux de l’art Occidental? Plus nu que nu, ce tableau à la vérité radicale fascine toujours. Quelle est l’origine de ‘L’Origine du monde’ ? Est-ce bien à la demande du diplomate et collectionneur turc, le mécène érotomane Khalil Bey, que Gustave Courbet peint ce « nu le plus nu » en 1866 ? Est-ce la maîtresse de l’artiste, celle du diplomate, ou plus simplement une fille de joie, qui est ici magnifiée pour l’éternité ? Le mystère demeure. A peine achevé, le tableau disparaît et reste invisible pendant de longues années. On le croit détruit, puis on retrouve sa trace à Budapest. Mais l’œuvre sulfureuse reste cachée aux regards… Considérée comme obscène au XIXe siècle, vendue sous le manteau, longtemps dissimulée par un ingénieux système de double-fond -Jacques Lacan lui-même, le célèbre psychanalyste, un temps possesseur du tableau dans les années 50, demandera à André Masson de peindre une autre toile par dessus ! – le destin de ‘L’Origine du monde’ est de se dérober sans cesse. C’est seulement en 1995, après une longue traque d’amateurs et de collectionneurs et une campagne de presse intense pour faire monter la pression, que le tableau de Courbet entre dans les collections du Musée d’Orsay et devient réellement accessible au public. Véritable manifeste du réalisme en peinture, ‘L’Origine du monde’ reste un tableau terriblement provocant, un geste subversif qui n’a rien perdu de sa puissance.
Déconcertant de sincérité, n’hésitant pas à se contredire en apparence par refus des idées reçues, avec une foi toute romantique en l’émotion, son guide presque infaillible, Courbet que la légende décrit comme un hâbleur de brasseries, porte dans sa peinture une horreur intransigeante du mensonge. Il aime mieux paraître gauche ou négligent, se voir reprocher ses «erreurs» de perspective et d’anatomie, la raideur et l’âpreté de ses figures, que de s’en remettre à des formules. Ces dispositions le rendent évidemment extrêmement vulnérable et expliquent ce continuel va-et-vient entre un optimisme de façade et une secrète tendance à l’abattement. Toute sa vie Courbet a cultivé son indépendance (artistique, sociale et familiale) et la liberté qui en découle a toujours eu son pendant: la solitude.
Son naturel optimiste, cache une sensibilité à fleur de peau. Il s’analysait finement dans une lettre à Alfred Bruyas, son ami et protecteur des années 1850, en disant:
“Avec ce masque riant que vous me connaissez, je cache à l’intérieur le chagrin, l’amertume et une tristesse qui s’attache au coeur comme un vampire”.
michèle voltaire marcelin
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