Il est des artistes qui voient leur production tout entière occultée par une seule œuvre ; paradoxalement, cette œuvre remplit rarement le but qui lui était assigné. Souvent même, son auteur la tenait pour mineure ou imparfaite. Le Boléro, considéré par son auteur comme une simple "étude d’orchestration", et l’une des dernières œuvres écrites par Ravel avant qu’une maladie neurologique ne le pousse au silence, est l’une des pièces les plus fréquemment jouées au monde, au point que les noms de Boléro et Ravel sont devenus indissociables.
Béjart décrit cette mélodie lancinante au rythme obsessionnel : "….elle s’enroule inlassablement sur elle-même et va augmentant de volume et d’intensité, dévorant l’espace sonore…et engloutissant à la fin la mélodie."
L’inspiratrice du Boléro, une proche amie de Ravel, Ida Rubinstein, était une danseuse et riche mécène russe qui créa l’œuvre en 1928 et en reçut la prestigieuse dédicace. Elle y tenait le rôle d’une danseuse de flamenco dans une chorégraphie très sensuelle qui fit scandale.
En 1997, une étude britannique, publiée dans le Psychiatric Bulletin, laisse entendre que le Boléro était le fruit d’un esprit déjà atteint d’une pathologie. Dr Eva Cybulska, auteur de l’étude, maintient que la célèbre mélodie répétée 18 fois sans changement au long de l’oeuvre démontre que le compositeur français était peut-être en train de succomber à la maladie d’Alzheimer. Cybulska maintient que la persévération, l’obsession des mots et des gestes répétés, est l’un des symptômes les plus évidents de cette pathologie. En d’autres termes, la nature répétitive du thème principal de la partition serait symptomatique de la condition dégénérative dont le compositeur français commençait à souffrir en 1927 à l’âge de 52 ans. On pouvait voir Ravel, dont l’humeur était alors altérée par la maladie et par ses longues nuits de noctambule qui ne lui laissaient aucun répit, diriger le Boléro d’un geste sec, dans un mouvement modéré, presque lent et de manière rigoureusement uniforme. Il ne transigeait pas sur l’exécution de son œuvre, si déroutante fût-elle : " Le Boléro doit être exécuté à un tempo unique du début à la fin, dans le style plaintif et monotone des mélodies arabo-espagnoles." On rapporte que lors de la première orchestrale du Boléro, une dame cramponnée à son fauteuil s’écriait : « Au fou ! Au fou ! » À son frère lui racontant la scène, Ravel aurait dit : « Celle-là, elle a compris ! »
michèle voltaire marcelin
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