Le 26 janvier 1855, Paris est sous la neige. A l’aube blême d’un matin de misère, dans le quartier des Anciennes Boucheries, Gérard de Nerval est retrouvé pendu à une grille par un cordon de toile. Il avait choisi pour mourir un coin immonde de la rue de la Vieille-Lanterne, dans un couloir débordant de détritus, de fange, et du sang des écorcheries. Dans ses poches, on trouva des feuillets de son dernier manuscrit, une pièce de monnaie, deux reçus d’asile, son passeport, une carte de visite et une lettre.
Douze ans après sa mort, Théophile Gautier écrivait:
"Nul n’a oublié ce bon Gérard, comme chacun le nommait, qui n’a causé d’autre chagrin à ses amis que celui de sa mort."
Avant Rimbaud, avant Artaud, Nerval est le symbole du poète maudit malmené par la société et incapable d’y trouver sa place. Hanté par la folie, celui qui se nommait lui-même El Desdichado – le deshérité- mena une vie souvent marginale, tissée d’errances et de liberté, avant de mourir tragiquement à 47 ans dans la plus grande misère.
L’une des clés principales de son oeuvre est Jenny Colon, une comédienne envers qui il eut une passion malheureuse et qui figure au centre de ses écrits.
Ses poèmes sont teintés de simplicité, de fantaisie, en même temps que de mélancolie profonde:
« Madame et souveraine,
Que mon cœur a de peine… »
Ainsi disait un enfant chérubin :
« Madame et souveraine,
Que mon cœur a de peine… »
Cette nuit, je ne sais trop pourquoi, ce refrain
A trotté dans ma tête et m’a laissé tout triste…
J’ai des torts envers vous… mais de ces torts d’artiste
Que l’on peut pardonner de la main à la main.
Je suis un fainéant, bohème journaliste,
Qui dîne d’un bon mot étalé sur son pain.
Vieux avant l’âge, plein de rancunes amères,
Méfiant comme un rat, trompé par trop de gens,
Ne croyant nullement aux amitiés sincères,
J’ai mis exprès à bout les nobles sentiments
Qui vous poussaient, madame, à calmer les tourments
D’une âme abandonnée au pays des misères.
Daignez me pardonner cet essai maladroit…
Vos lettres m’ont prouvé que dans cette bagarre,
Vous possédiez l’esprit qui marche ferme et droit,
Vous voulez votre dû, mot grotesque et barbare,
Que l’on n’accepterait jamais au Tintamare…
Mais il paraît qu’il faut payer ce que l’on doit.
Vous aurez donc, madame, et manuscrits et lettres,
Doucement ficelés dans un calicot vert,
Car ma plume est gelée aux jours noirs de l’hiver.
Sans feu dans mon taudis, sans carreaux aux fenêtres,
Je vais trouver le joint du ciel ou de l’enfer,
Et j’ai pour l’autre monde enfin bouclé mes guêtres.
J’ai fait mon épitaphe et prends la liberté
De vous la dédier dans un sonnet stupide
Qui s’élance à l’instant du fond d’un cerveau vide…
Mouvement de coucou par le froid arrêté :
La misère a rendu ma pensée invalide!
G. de Nerval
En janvier 1856, Baudelaire réclamait pour quelques élus « le droit de s’en aller» et célébrait à sa manière le premier anniversaire de la mort de Gérard de Nerval :
« Il y a aujourd’hui, 26 janvier, juste un an, un écrivain d’une honnêteté admirable, d’une haute intelligence, et qui fut toujours lucide, alla discrètement, sans déranger personne, – si discrètement que sa discrétion ressemblait à du mépris –, délier son âme dans la rue la plus noire qu’il pût trouver. »
Albert Béguin a écrit de lui: «Gérard de Nerval, de tous les êtres qui ont vécu, est certainement un de ceux qui se sont maintenus de la façon la plus constante dans l’état de poésie.»
michèle voltaire marcelin
« Il reste ce visage de la photo de Nadar, qui est sans doute le portrait le plus révélateur d’un homme que la chambre noire ait jamais emprisonné dans sa nuit. Il reste que Nerval, c’est ce visage-là, ce regard intelligent, un peu inquiet, surtout bon et humble. C’est ce collier de barbe mal soignée, cette calvitie, cette pauvreté si digne et cependant offerte si simplement au regard de qui veut la voir. Ce sont ces mains encore, oisives et lasses, posées sur les vieux genoux du vagabond. Il a plein la tête de travail à donner à ses mains, des livres et des livres à écrire encore, dont il a dressé la liste; mais non, il reste là, immobilisé dans cet instant de pose devant le photographe, qui pourrait être n’importe quel instant, car quelque chose encore le fige, le fixe, quelque chose que sa langue, la plus subtile du monde, ne saurait nommer. L’infortune ? C’est trop dire. Le sacré ? C’est l’un de ces grands mots qu’une pudeur lui interdit. La mort ? Oui, elle est là, depuis longtemps, compagne de sa vie dès les années lointaines où il s’amusait de la surface du réel; elle ne l’a plus quitté, il en est venu à aimer ce compagnonnage avec la mort, bientôt il répondra à son appel. » Albert Béguin
Bonjour,
Je ne connais pas Gérard de Nerval, j’avais juste en tête les mots “le veuf, l’inconsolé”, par la magie d’internet je me retrouve chez vous et j’apprends qu’il s’est suicidé, ce qui donne pour moi un relief particulier à son oeuvre, que je vais m’empresser de découvrir.
Bien à vous
Isabelle Macario
Je suis très heureuse de vous avoir fait découvrir Nerval. Je le garde très près de mon coeur. Gardez-lui aussi une place. Bien à vous. MM