J’ai rêvé de Lélian à la Tête de l’Eau. J’oublierai bien des choses et les choses m’oublieront, mais comment oublier l’amour de mes treize ans. Celui qui a bouleversé l’horloge de ma vie.
J’ai la mémoire à fleur de peau. Traces de caresses ou de coups, ma peau ne garde aucun secret. Tout apparaît en relief, lisible pour tous. Une vraie peau pour aveugle, à lire avec les doigts. Plaisir et pénitence. Avec mes ongles, je traçais jusqu’au sang, le nom de Lélian sur mes cuisses et glissais ma main sous la jupe bleue de l’uniforme, pour caresser des doigts, le contour des lettres incisées dans ma chair.
Il m’avait accrochée au détour d’un regard. C’était un jour de fête. Quelle fête ? Il pleuvait ou il ne pleuvait pas. Je ne me souviens pas de la couleur du ciel. Il me regarde. Je le vois. Et de cette seconde d’éternité, je garde l’éblouissement de cette image. C’est lui. Tout en violence. Tout en refus à l’écart de cette fête. Silhouette efflanquée, sans chaussettes, chemise ouverte. Au milieu de tous ces beaux jeunes hommes parfumés, aux plis de pantalon impeccables. Viens petite fille. Il a une voix de mise en garde. Et dans ses yeux, il y a du feu. Un incendie sans porte de sortie. Je suis étourdie, folle, perdue. Je vais brûler. Je brûle. L’univers vole en éclats et il est la cause de ce mystère. Il m’a attrapé par le bras. Viens petite fille, embrasse-moi. Et en dépit de mon indignation. Non. De quel droit. Insolent. Sur ma bouche. Un baiser, que malgré ma peur récitée comme une leçon, il n’est pas concevable à cet instant qu’il puisse finir Mon Dieu, et que je rends. Et un rendez-vous que j’accorde. Et je sais déjà que j’offre mon âme au diable. Perdition. Perdition. Parce que milles subterfuges, milles mensonges me seront nécessaires. Une petite jeune fille de bonne famille qui a rendez-vous avec un voyou. Jésus-Marie-Joseph. Vous vous rendez compte. Ne vous étonnez pas si bientôt, c’est le mur des lamentations par ici. Oui. On peut prédire qu’il va déluger des larmes bientôt.
Et un jour. Dans sa pièce aux murs nus, à peine à l’abri du ciel. Un jour de presque personne, un jour de lui et moi, sa bouche a étouffé toutes mes inquiétudes. Baisers sans murmures, langues fondues, confondues, entre cette enfant sans poitrine et ce bandit à moitié nu. Le matelas mince était posé par terre dans cette chambre où passait un souffle de vent. Je gardais dans mes paumes une odeur de danger. Suc amer et visqueux de caimites, collant à mes doigts. Et pour ce dévoyé entré dans mon coeur par effraction, ma soif ne s’est point passée.
Et mon amour qui doit être puni
Mon amour et mon innocence
Mon amour est ma souffrance
Mon amour est mon paradis….
michèle voltaire marcelin
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